Discours Pierre Lézeau Comité MamEga
C’est des côtes Dalmates, en observant une petite île « Madiska », qu’Aimé Césaire songea à son île natale, la Martinique. C’est là qu’il commença à écrire les premières lignes du « cahier d’un retour au pays natal », long poème d’une prise de conscience, d’une identité réconciliée avec l’universel.
« Pour être universel, il ne faut pas nier d’être nègre, plus on sera nègre, plus on sera universel ».
« La négritude, par-delà les races, il y a un cri humain et universel. La négritude est un humanisme, se situe dans l’histoire, est un enracinement. C’est le nègre opprimé, bafoué, piétiné, révolté. Au-delà des races, il y avait un cri humain et universel. Il peut y avoir une négritude blanche, québécoise, de n’importe quelle couleur, c’est cela le langage fondamental ».
"ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale"
L’UNESCO dans son programme : « Rabindrânâth Tagore, Pablo Neruda et Aimé Césaire pour un universel réconcilié », précise que les objectifs visent à mobiliser la « solidarité intellectuelle et morale de l’humanité » autour du message universel de ces trois auteurs en faveur de la diversité, de la tolérance, d’un dialogue des cultures et de la paix.
Les Armes Miraculeuses
« La poésie, le théâtre, la littérature, le cinéma, la musique, la danse ainsi que toutes les formes de créativité deviennent alors, lorsqu’ils sont animés de conscience, les véritables leviers des humanités opprimées ».
" Le poète est un homme qui crée, c’est la vie continuée, c’est normal qu’un poème débouche sur la création d’une route, d’une école, d’une crèche."
"Césaire c’est un charpentier, un maçon qui a accompli son œuvre et il nous laisse la responsabilité de le faire fructifier. (...) il y a une dimension testamentaire de l’œuvre de Césaire, du discours et de la pratique".
Roger Toumson
"La poésie c’est la parole fondamentale. Le salut du monde dépend de sa capacité d’entendre cette parole. On se rend compte que c’est la seule parole qui puisse être encore vivifiante, autour de laquelle on va rebâtir et construire". Aimé Césaire
« Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée. » (...) tonnait Victor Hugo dans son recueil de poésie Les Châtiments, qui se conclut ainsi : « A la septième fois, les murailles tombèrent ». La poésie, la pensée peuvent faire tomber toutes les murailles.
Nous voulons faire tomber les tours, les remparts, les murs et pas seulement avec les pelleteuses et autres outils de démolitions - par : la poésie, le théâtre, la littérature, le cinéma, la musique, la danse, l’éducation, la peinture.…
Roger Toumson et Simone Henry-Valmore placent les discours politiques de Césaire dans une perspective historico-politique et mettent en lumière les relations qui unissent l’engagement politique et l’action poétique, reprenant ainsi l’aphorisme césairien : "On fait de la bonne politique en faisant de la bonne poésie".
Il est des produits de « Haute nécessité » qui auraient pu être qualifiés par Césaire d’armes miraculeuses.
(Neuf intellectuels antillais, Ernest Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William ont rédigé ce "Manifeste pour les ’produits’ de haute nécessité").
« Dès lors, derrière le prosaïque du "pouvoir d’achat" ou du "panier de la ménagère", se profile l’essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l’existence, à savoir le poétique. Toute vie humaine un peu équilibrée s’articule entre, d’un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l’autre, l’aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d’honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de spiritualité, d’amour, de temps libre affecté à l’accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique) »
« Et les fruits passeront la promesse des fleurs ». François de Malherbe.
Les fruits sont à portée de mains ; il est important de voir aujourd’hui de voir les enfants des écoles et les collégiens être présents et participer à cette inauguration.
Maryse Condé, qui a initié beaucoup de choses, a permis les rencontres d’un écrivain avec les enfants, dans le cadre du projet « des enfants, un artiste, une œuvre ».
Cette opération, que vous avez soutenue, Madame la Ministre, lorsque vous étiez en charge au niveau ministériel de la réussite éducative, a débuté dans le Grand Saint Barthélémy, s’est enracinée en Guadeloupe et a pour objectif de se développer en Guyane et à Mayotte.
« Souvenir d’enfance, souvenir d’en France ». Certains auteurs en direction de la jeunesse peuvent venir en soutien à la découverte de l’autre et du vivre ensemble tels que :
Le temps des madras, Françoise Ega, une enfance créole, Patrick Chamoiseau, rue case nègre Joseph Zobel dont c’est le centième anniversaire de la naissance cette année et qui nous parle aussi de ses Cévennes, L’invention des Désirades, Daniel Maximin, Jean Contrucci et ses histoires sur Marseille, Le Gône du Chaâba d’Azouz Begag, les romans pour la jeunesse Maryse Condé, Kateb Yacine et sa poudre d’intelligence, Salim Hatubou et ses contes comoriens, Hassanati de Mayotte à Marseille...
La culture et l’éducation ne sont pas la solution aux problèmes complexes et imbriqués des cités, mais elles font partie de la solution.
Césaire le Bâtisseur
Avec la loi de 1946, il fallait s’attaquer à la misère dans les vieilles colonies. " Puisque Français nous sommes, chiche, mettez tout sur la table, donnez-nous école, crèche, sécurité sociale…"
Césaire, dans la séance du 10 juillet 1947 à l’Assemblée Nationale,
"Il faut vite tenir parole, car à l’heure actuelle dans nos territoires, se posent de nombreux et graves problèmes qu’Il faut résoudre : problèmes d’équipement, de réorganisation, de modernisation, problèmes qui ne seront pas résolus tant que durera l’interrègne que nous connaissons actuellement (….) Tout est prêt, il ne reste plus qu’à l’appliquer".
Nous tenons à saluer Mme la Préfète déléguée pour l’égalité des chances, chez qui nous avons toujours trouvé une écoute favorable pour s’attacher à mettre en place le Conseil citoyen du Grand Saint Barthélémy. Nous lui en savons gré.
Pour la mise en place de ce Conseil citoyen, nous sommes prêts… enfin presque !
Le 15 novembre 1952 devant les députés, Césaire poursuivait : « Je dois également attirer l’attention de monsieur le ministre sur le problème de l’urbanisme. Je vous demande, monsieur le ministre (…), de prendre toutes mesures pour favoriser une politique de construction (… ), construisez pour la population des maisons, percez leur des rues et des boulevards, aidez à leur faire des conditions de vie décentes ».
Liberté, égalité, fraternité, Laïcité
À l’Assemblée Nationale le 2 décembre 1966, concernant l’organisation d’une consultation de la population de la Côte française des Somalis, Aimé Césaire cite le Coran, la Sourate 49 "Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez" (…) Je dis bien : « pour que vous vous entre connaissiez » et non pas pour que vous entre-déchiriez ».
Mohammed ARKOUN professeur émérite d’histoire de la pensée islamique
« Les Français attachent à la laïcité une valeur universelle. Personnellement, en tant qu’historien de la pensée aussi bien occidentale qu’islamique et donc méditerranéenne, je dirais tout de suite qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour donner à cette laïcité cette fonction historique qui toucherait l’ensemble de la pensée et des formes de la pensée qui se sont développées dans l’espace méditerranéen. Ce travail-là est heureusement en train de se faire, mais, là aussi, c’est tellement nouveau ».
« Quand on oppose Occident et Orient – et c’est ce qui a été fait durant des siècles· deux modes de vie, deux conceptions du statut philosophique et juridique de l’être humain. Personne ne peut nier ces différences, surtout depuis que le modèle islamique est opposé au modèle occidental de démocratie. Je soutiens depuis longtemps que cette opposition désastreuse entre deux cultures, deux civilisations – dont les racines remontent à l’origine au même héritage grec et qui ont les mêmes références suprêmes - est généré et encouragé des deux côtés par une forme d’ignorance institutionnalisée ».
« Dans l’islam, comme dans le judaïsme et la chrétienté, il y a toujours eu une tension, voire un fossé (…). Les tentatives les plus sophistiquées pour harmoniser les deux enseignements et les attitudes de raison ont été accomplies par Ibn Rush pour les musulmans, Moïse Ben Maymon pour les juifs et Thomas d’Aquin pour les catholiques- ».
Dialogue entamé au moyen âge : Averroès, Ibn Rush, Maimonide, Saint Thomas d’Aquin, interprétation, réinterprétation notamment d’Aristote.
Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours - Abdelwahab Meddeb (décédé cet automne, chargé de la rubrique Islam à France culture), Benjamin Stora. Livre d’utilité publique à conseiller aux écoles et collèges et autres centres de formation.
Nous ne voulons pas nous mithridatiser, nous habituer à ces poisons que sont, intolérance, racisme... Nous prônons le vivre ensemble, la tolérance. Liberté égalité fraternité laïcité. Pas besoin de nouveaux textes, de nouveaux programmes, il faut mettre en pratique l’existant.
Madame la Ministre, à l’Assemblée nationale au mois d’octobre, 2014, lorsque nous vous avons présenté le n citoyen du Grand Saint-Barthélemy en construction, vous poursuiviez ainsi :
« Le président de l’association de Marseille a insisté sur le fait qu’il fallait que les originaires d’outre-mer se comportent comme des citoyens à part entière et que, par conséquent, dans la ville où ils sont présents, ils puissent continuer à défendre les valeurs de la République, ces valeurs qui nous protègent et qui sont à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Je suis d’accord avec lui. C’est particulièrement important dans les régions où l’on a l’impression que le pacte républicain est en danger.
Il avait été question d’inaugurer une rue Aimé Césaire à Marseille. Je suis toujours d’accord pour le faire. En tant qu’originaires d’outre-mer, nous devons être partout, en tête de la lutte pour les valeurs de la République ».
Parole tenue, merci de votre soutien, de votre venue.
Marseille 2013, capitale européenne de la culture, dans nos quartiers, a failli, s’est dérobé. Le bus n’est pas arrivé jusqu’ici. Mais telle la laminaire, chère à Aimé Césaire, qui s’accroche à son rocher nourricier, ballottée par les flots, contre vents et marées, nous continuerons à œuvrer dans nos quartiers.
Nous discuterons de la possibilité de voir les Conseils citoyens siéger au CESER. (Conseil économique, social et environnemental Régional) – Clin d’œil Césaire /CESER. Ce serait une belle reconnaissance de ce lieu de dialogue et de co-construction de la Politique de la Ville.
Pour combattre la bête désignée par Bertolt Brecht, il nous faut des actes, des réalisations, du concret. Ici dans nos quartiers nous sommes déterminés, nous sommes en résistance. Nous regagnerons nos territoires pas à pas, pan par pan, nous avons besoin du soutien de tous.
Il faut remettre de l’espoir dans nos quartiers.
À l’époque de la marche de 83, pour les jeunes, tout semblait possible, création d’associations, troupe de théâtre, activités culturelles, sportives, formations diplômantes. Il n’y a plus d’horizon, de perspectives. À quel moment y a-t-il eu rupture, abandon, sentiment d’abandon. C’est un lieu commun de dire que cela.
La nature a horreur du vide. Les habitants sont relégués, stigmatisés. Ils ne sont pas entendus, pas écoutés. Que s’est-il passé pour que ces territoires deviennent zones de relégation.
« Mais qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu… pour mériter ça ? »
Nous ne nous habituerons jamais à ces poisons que sont l’intolérance, le racisme, la stigmatisation....
Madame la Ministre, ce matin, vous rendiez hommage à l’historien Réunionnais Sudel FUMA à la Maison méditerranéenne des Sciences de l’homme d’Aix-en-Provence.
Sudel Fuma décrit dans ce texte les caractéristiques du « miracle créole ».
« Enfin, disons que le miracle s’est opéré essentiellement au niveau de l’identité créole, faisant du concept « d’identité résidentielle », le fondement même des sociétés créoles de l’océan Indien. Car si l’Afrique et Madagascar demeurent des référents culturels pour une grande partie de la population, la vraie patrie est le pays où l’on réside ».
À Marseille, la rue des Antilles, de la Martinique, de la Guadeloupe, de Pointe-à-Pitre trouve au Sud, la rue Aimé Césaire au Nord.
Je ferais appel une dernière fois aux poètes, aux poètes que sont les supporters de l’OM :
« Quand les virages – Nord, Sud - se mettent à chanter, c’est tout le stade qui va s’enflammer »